Il y a dans toute bédéthèque un album majeur. Un de ceux qui restent dans les souvenirs et qui, consciemment ou non, ont marqué notre jeunesse. Pour beaucoup d'entre nous, cette marque est jaune et prend la forme de la lettre grecque "µ". Il s'agit du sixième album de Blake et Mortimer mais seulement de leur troisième aventure. C'est ainsi que s'opère le premier tournant dans l'oeuvre d'Edgar P. Jacobs. Il y en aura d'autres dans cette B.D comme nous allons le voir.

Jusqu'ici, les deux premières histoires (Le Secret de l'Espadon et Le Mystère de la grande pyramide) s'étaient déclinées en trois tomes pour l'une (*), en deux pour l'autre. Ici, l'intrigue est resserrée en un seul album contractant également la notion de temps et de lieu et la rendant encore plus nerveuse. Les albums suivants ne dérogeront pas à cette règle à l'exception du dernier, "Les 3 formules du professeur Sato", paru vingt ans plus tard et dont seul le premier épisode sera signé de l'auteur, avant d'être achevé, après sa mort, par le regretté Bob de Moor bien plus tard encore.
Autre tournant, et non des moindres, nous ne sommes plus dans les grands espaces et l'unité de temps fictive (la 3ème guerre mondiale), ni dans l'espionnage et la résistance, et encore moins dans la quête ésotérique au coeur de l'Egypte qui caractérisaient les titres précédents. L'action, ici, se déroule dans le Londres de 1953(*) peu avant Noël, dans une réalité noire et pluvieuse, la majeure partie de l'album étant dessinée de nuit. Une nuit angoissante qui fait contraste avec les scènes d'intérieur vivement éclairées et renforçant encore le coté polar(**) des scènes. Comme d'habitude, on trouvera des rebondissements à chaque page, le découpage imposé par la parution hebdomadaire imposant de tenir le lecteur en haleine à chaque planche.